Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/157

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qui sont des manifestations divines, et non seulement de celles qui se voient : souvent le Dieu est deviné sans qu’aucune forme ait frappé les yeux. Ainsi, dans le Massacre de Mona, les Dieux maritimes, les chthoniens, ceux des montagnes et ceux des bois :


         les Esprits ceints d’algue et de limons,
Et ceux dont le vol gronde à la cîme des monts.
Et ceux des cavités, de qui la force sourde
Fait, comme un cœur qui bat, bondir la terre lourde,
Et ceux qui, dans les bois, portent la Serpe d’or
[1]


Il ne se sont pas montrés et le mystère les enveloppe, mais on les devine : les uns d’après les palpitations mystérieuses de la terre, les autres dans le grondement du vent des hauts sommets. Leconte de Lisle a une imagination extraordinaire pour voir et entendre des Dieux ainsi à l’état naissant, encore tout engagés dans le phénomène naturel. Ce « vol qui gronde à la cime des monts », par exemple, les hommes des plaines ne peuvent pas sentir combien ce vers est vrai : dans la solitude des grandes hauteurs, quand l’imagination des sens s’exaspère par l’absence de vrais êtres vivants, le hurlement du vent

  1. Massacre de Mona, ibid., p. 114. Cf. la Paix des Dieux, à propos des « esprits kimriques » encore :

    Et ceux des monts, des bois obscurs et de la mer…