Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/169

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Les titres de noblesse d’une cité grecque, ce sont les traces que les Dieux y ont laissées de leur intervention directe ; qu’on se rappelle l’invocation à Thèbes au début de Niobé. Les autres peuples païens n’ont pas de cités ; du moins chez tous, le sentiment religieux est lié intimement au sentiment de la race. Les Dieux, « divins amis », sont « les amis de la race »[1]. On a vu dans le Massacre de Mona la part qu’ils prennent à son sort et combien sa grandeur leur tient à cœur ; c’est-à-dire, au point de vue des hommes, combien étroitement le païen associe la religion à tous les souvenirs de son peuple. « Protecteurs des aïeux », c’est sous cenomque les Olympiens sont invoqués dans les Érinnyes[2] : jamais chose pareille n’est dite du Dieu chrétien, ni de Bhagavat, ni même du Jéhova juif. L’idée est dramatisée dans le Runoïa. Dans une même grande salle sont réunis le Dieu national et, groupés autour de lui, ses guerriers qui boivent et ses poètes qui chantent le gloire des ancêtres, comme une famille patriarcale ; leur conversation est familière ; le Dieu leur dit : « mes enfants, mes fils », et eux, s’adressant à lui, ils l’appellent :


Père des Runoïas, Dieu des races antiques,


Et en effet, ce vieillard est le lien entre les généra-

  1. La Paix des Dieux.
  2. Partie I, scène IV. [Poèmes tragiques, p. 180.