Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/180

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par là que le sentiment religieux se concilie avec la passion de la liberté, à laquelle le poète n’a jamais renoncé.

Ainsi donc, Leconte de Lisle n’est pas de ceux qui ne voient dans les religions polythéistes que l’aimable jeu poétique de l’imagination. Lui, à travers la grâce et la beauté du dehors, il les sent graves, pleines de mystère même. La familiarité avec les Dieux ne fait pas tort au respect ; de même la précision des formes plastiques n’empêche pas le sentiment profond du mystère des choses. Les paganismes aussi ont la part d’inconnu divin, de mysticité, d’« exaltation mystique ». Le mot revient de temps en temps dans les Poèmes[1], et le sentiment est toujours là, comme au temps de Rennes. Quand Leconte de Lisle parle, avec une nuance de désapprobation, de la « rêverie mystique d’Outre-Rhin », ce n’est pas dans mystique qu’est le blâme, c’est dans rêverie ; ce que Leçon le de Lisle n’aime pas, c’est la confusion et le chaos, mais il ne hait pas le mystérieux, et il le trouve dans le paganisme. C’est

  1. Outre les textes cités plus bas, voy. Érinnyes, II, II. [Poèmes tragiques, p. 207] :

    Daimones très puissants, Rois de la terre antique,
    Qui siégez côte à côte en son ombre mystique…


    et dans l’article sur Béranger, parlant de la poésie des races jeunes et naïves, donc païennes : « amour ou haine, exaltation mystique ou héroïsme. »