Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/243

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que[1]. Il faut des Dieux non seulement pour être crus, mais pour être blasphémés. Ils faisaient souffrir, et à la joie qu’ils donnaient mêlaient le tourment : et on les hait parce qu’ils font souffrir, mais on les aime pour l’aliment qu’ils procurent à notre haine. On a dit que, dans les toutes dernières années, l’attitude de Leconte de Lisle envers le christianisme fut moins fanatiquement hostile[2] ; peut-être y avait-il en effet dans ce demi-apaisement quelque chose de plus que la simple lassitude du vieillard : la Paix des Dieux exprime l’amour même des religions les plus haïssables, précisément pour la souffrance qu’elles donnaient[3]. Et ici surgit encore chez le poète cette idée bien digne d’un pessimiste : s’il n’y a plus de Dieux, qui rendre responsable de toutes les tortures de l’existence ? mais s’il y en a, l’homme se soulage en les maudissant. Et, voyant passer le long défilé des anciennes divinités évoquées par le Spectre, il demande : est-il vrai que

  1. La Paix des Dieux. Les Dieux sont v< les spectrales images de peur, d’espoir, de haine et de mystique amour ».
  2. On trouve dans le Sacrifice [Derniers Poèmes] une assez belle strophe sur les martyrs chrétiens, dont l’inspiration rappelle bien plus les Ascètes (ceux de 1855), que les pièces hostiles au christianisme des Poèmes tragiques.
  3. On peut encore citer ici le Sacrifice :
    Mais si le ciel est vide et s’il n’est plus de Dieux,
    L’amère volupté de souffrir reste encore.