Vertu, douleur, pensée, espérance, remords,
Amour qui traversais l’univers d’un coup d’aile,
Qu’êtes-vous devenus ? L’âme, qu’a-t-on fait d’elle ?
Qu’a-t-on fait de l’esprit silencieux des morts ?
Et il repond implacablement, selon la vérité :
Tout, tout a disparu, sans échos et sans traces,
Avec le souvenir du monde jeune et beau.
Les siècles ont scellé dans le même tombeau
L’illusion divine et la rumeur des races[1].
Le poète insiste : non seulement tout est anéanti, mais il n’en reste pas un écho, une trace, un souvenir. Car subsister dans une trace ou un souvenir, c’est encore subsister : et après avoir reconnu que toutes choses sont éphémères, l’esprit avide d’éternité voudrait au moins qu’il y eût, quelque part, dans un monde transcendant, comme un livre où elles inscrivissent à jamais la trace de leur passage. Par là se trouve évoquée encore une fois l’idée de Dieu comme d’un témoin immuable de l’écoulement des choses. Avec un Dieu au-dessus d’elle, la vie ne serait pas toute vaine ; les générations qui s’évanouissent l’une après l’autre avec leurs souffrances, leurs luttes, leur héroïsme quelquefois, ne seraient pas vouées à l’oubli, comme maintenant :
Que de sanglots perdus sous le ciel solitaire !
Que de flots d’un sang pur sont versés sur la terre
Et tument ignorés d’un éternel témoin[2] !