Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/101

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écrire de son crayon une Bible féerie, une suite de scènes semblant faire partie d’un drame gigantesque qui s’est passé on sait où, dans quelque sphère lointaine.

L’œuvre a deux notes, deux notes éternelles qui chantent ensemble : la blancheur des puretés premières, des cœurs tendres, et les ténèbres épaisses des premiers meurtres, des âmes noires et cruelles. Les spectacles se suivent, ils sont tout lumière ou tout ombre. L’artiste a cru devoir appuyer sur ce double caractère, et il est arrivé que son talent se prêtait singulièrement à rendre les clartés pures de l’Eden et les obscurités des champs de bataille envahis par la nuit et la mort, les blancheurs de Gabriel et de Marie dans l’éblouissement de l’Annonciation, et les horreurs livides, les éclairs sombres, l’immense pitié sinistre du Golgotha.

Je ne puis le suivre dans sa longue vision. Il n’a mis que deux ou trois ans pour rêver ce monde, et sa main a dû, au jour le jour, improviser les mille scènes diverses du drame. Chaque gravure n’est, je le répète, que le songe particulier que l’artiste a fait après avoir lu un verset de la Bible ; je ne puis appeler cela qu’un songe, parce que la gravure ne vit pas de notre vie, qu’elle est trop blanche ou trop noire, qu’elle semble être le dessin d’un décor de théâtre, pris lorsque la féerie se termine dans les gloires rayonnantes de l’apothéose. L’improvisateur a écrit sur les marges ses impressions, en dehors de toute réalité et de toute étude, et son talent merveilleux a donné, à certains