Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/120

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que nous lui avons faite, et elle nous a donné en échange de nos soupçons, de nos mépris et de nos amours malsaines, un foyer désert et froid, une vie solitaire, une société oisive et fiévreuse. Lorsque l’homme abaisse sa compagne, il tombe avec elle ; celle qui, pour lui, ne compte pas dans les affaires de ce monde, est justement celle qui, en dehors même de sa volonté, mène les peuples à la grandeur ou à la décadence. Tout historien qui néglige l’étude de la femme, néglige l’étude du grand ressort, ressort caché et inconscient, qui a poussé fatalement les nations dans les voies douloureuses qu’elles ont parcourues.

L’homme naît, Dieu lui donne une créature qui doit le suivre, ne faire qu’un avec lui. Dès lors, du berceau à la tombe, l’homme et la femme devront marcher d’un pas égal, et l’histoire sera faite, non pas de l’étude de l’homme seul, mais de l’étude du couple. Il est arrivé que l’homme a dominé et que la femme s’est effacée. Aujourd’hui, dans nos temps de curiosité, on se souvient de la pauvre oubliée, on interroge les âges, on se demande quelle a été sa véritable mission et quel a été le rôle que nous lui avons fait jouer. Lorsque je songe à ce mouvement qui amène nos penseurs à l’étude de la femme, je m’explique parfaitement leurs inquiétudes et leurs plaidoyers. Ils ont compris que chacun de nous a près de lui un être que nos mœurs et nos coutumes ont rendu inutile et même nuisible ; ils ont lu dans le passé l’immense malentendu qui a régné de tout temps entre l’époux et l’épouse ; ils ont craint pour l’avenir, et ils ont voulu ré-