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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/174

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les spectateurs, en reconnaissant une vieille amie, soient disposés à lui faire bon accueil. On ne saurait croire combien le monde théâtral est différent du monde réel. Prenez n’importe quelle œuvre dramatique, et examinez-la : vous serez surpris, en réfléchissant, d’avoir pu croire un instant à un monde si étrange. C’est là ce monde ridicule et impossible dont il faut faire un apprentissage, si on veut être un auteur dramatique accepté. Dès lors, on n’écrit plus des pièces dangereuses, on écrit des pièces que le talent grandit quelquefois, mais qui se meuvent dans un cercle adopté.

Je crois inutile d’examiner maintenant les trois versions du Supplice d’une Femme. J’avoue qu’en elle-même la pièce m’importe peu. Que M. de Girardin soit un maladroit, que M. Dumas fils soit un homme habile, là n’est pas le point intéressant. Je préfère rester dans la généralité, et je’crois avoir eu raison de prendre l’affaire de haut et de l’avoir changée en une question de principes dramatiques. Je ne puis descendre au cas particulier, ayant envisagé l’avenir tout entier de notre théâtre. Dans nos temps de pièces amusantes et lestement tournées, j’ai cru comprendre que M. de Girardin faisait hardiment une tentative qui pouvait ouvrir de nouveaux horizons à notre littérature. Ces tentatives répondaient justement à une pensée que j’avais depuis longtemps et que je formulerai sous ce titre ; De la réalité au théâtre. On s’expliquera ainsi que j’aie pris instinctivement le parti de M. de Girardin, sans même vouloir