Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/181

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on a sifflé les Deux Sœurs, on a applaudi à tout rompre un acte de grosse plaisanterie que l’on jouait pour la première fois. Je ne veux pas parler de cet acte, qui peut être très drôle et amuser certaines gens ; mais je dis hautement qu’il est indigne d’un public intelligent d’accueillir avec enthousiasme une véritable parade, et de se moquer d’une tentative sérieuse qui importe à l’avenir de notre théâtre. Les critiques du lundi, ceux qui avaient été les plus durs pour le drame de M. de Girardin, ont trouvé quelques mots d’éloge en parlant du petit acte drôle. Les critiques du lundi faisaient donc partie de la manifestation ? Le soir même de cette manifestation honteuse, un des pistolets du dénoûment a raté. Vous pensez quels rires et quels sifflets. Là est toute la morale de l’aventure. En France, faites un chef-d’œuvre, mais priez le chef des accessoires de bien veiller à l’amorce de vos pistolets. M. de Girardin a l’immense tort de ne pas connaître son public, et de le traiter en grand garçon, lorsqu’un hochet le contente.

Que veut-il, après tout, ce débutant, cet auteur dramatique nouveau-né. Il est las des habiletés du jour, las des banalités, et il veut tenter à la scène l’examen des grands problèmes sociaux. On lui dit que le théâtre n’est qu’action et émotion, et il peut répondre qu’il le sait bien, que ses personnages agiront et seront assez vivants pour toucher et émouvoir. Ce dont il ne veut plus, c’est la peinture étriquée d’un travers du jour, c’est la comédie d’intrigue, où la grande question est de savoir si M. A… épou-