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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/207

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historique, la peinture des batailles est plus navrante, plus énergique encore que dans Madame Thérèse, L’écrivain a trouvé des couleurs admirables de vérité et de vigueur pour peindre cette lutte dernière d’un homme contre tous les peuples ; il a rencontré, dans la simplicité et dans la réalité, des accents déchirants et nous a donné, par fragments, le poème épique moderne. Je ne saurais trop louer Erckmann-Chatrian sur cette partie de son œuvre, moi qui me montre si sévère pour les autres parties.

Les deux livres sont en quelque sorte les mémoires du fusilier Joseph Bertha, l’ouvrier horloger, le pauvre boiteux que la conscription prend et jette aux hasards de la guerre ; ils nous content la douleur qu’il éprouve à quitter sa chère Catherine et son maître, le bon et sage M. Goulden, ses combats, ses blessures et ses souffrances, ses pensées et ses tristesses. Nous le suivons dans ses campagnes, sur les champs de bataille, et c’est là que l’œuvre est admirable. Il y a création réelle, et la guerre est rendue dans toute sa sombre et grandiose vérité.

Ce soldat, lorsqu’il se bat, qu’il espère ou qu’il pleure, n’est plus une poupée ; c’est un ouvrier, un simple d’esprit, un égoïste, si l’on veut, qui se révolte de servir lorsque la loi devait l’exempter. Il nous conduit à la victoire, à la défaite, à l’hôpital et à l’ambulance, dans les champs humides et glacés, dans les enivrements du combat et dans les mornes terreurs de la retraite, — et sa parole naïve et triste ne nous permet pas de douter de sa franchise. Tout