Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/212

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son tempérament, ses goûts et ses croyances artistiques. J’aurai ainsi à l’envisager dans ses œuvres et dans la philosophie qu’il s’est faite de l’art. Je sens que souvent, malgré moi, j’aurai affaire au penseur ; tout se tient dans une intelligence. Mais je ne remonterai jamais au philosophe que pour mieux expliquer l’artiste.

On a fait grand bruit autour de M. Taine, critique et historien. On n’a vu en lui que le révolutionnaire, armé de systèmes, venant porter le trouble dans la science de juger le beau. Il a été question du novateur qui procédait carrément par simple analyse, qui exposait les faits avec brutalité, sans passer par les règles voulues et sans tirer les préceptes nécessaires. À peine a-t-on dit qu’il y avait en lui, avant tout, un écrivain puissant, un véritable génie de peintre et de poète. On a semblé sacrifier le littérateur au penseur. Je ne désire pas faire le contraire, mais je me sens porté à admirer l’écrivain aux dépens du philosophe, et j’essayerai ainsi de compléter la physionomie de M. Taine, déjà si étudié comme physiologiste et comme positiviste.

Un système philosophique m’a toujours effrayé. Je dis système, car toute philosophie, selon moi, est faite de bribes ramassées çà et là dans les croyances des anciens sages. On se sent le besoin de la vérité, et, comme on ne trouve la vérité entière nulle part, on s’en compose une pour son usage particulier, formée de morceaux choisis un peu partout. Il n’est peut-être pas deux hommes qui aient le même