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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/216

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vous attire tout entier, si vous avez le malheur de vous laisser pincer le bout des doigts. Le poète n’est plus ; on a devant soi un esprit systématique, qui obéit à une idée unique et qui emploie toute sa puissance à rendre cette idée invincible.

Ouvrez n’importe quel livre de M. Taine, et vous y trouverez les trois caractères que je viens de signaler ; une grande sécheresse, une prodigalité sanguine, une sorte de faiblesse fiévreuse. Qu’il donne une relation de voyage, qu’il étudie un écrivain, qu’il écrive l’histoire d’une littérature, il reste le même, sec et rigide dans le plan, prodigue dans le détail, vaguement faible et inquiet au fond. Pour moi, il est trop savant. Toutes ses allures systématiques lui viennent de sa science. Je préfère le poète, l’homme de chair et de nerfs, qui se révèle dans les peintures. Là est la vraie personnalité de M. Taine, ce qui lui appartient en propre, ce qui lui vient de lui, et non de l’étude. Le système qu’il a construit serait un bien mauvais instrument dans des mains moins puissantes et moins ingénieuses que les siennes. L’artiste a grandi le philosophe à ce point qu’on n’a plus vu que le philosophe. D’autres appliqueront les mêmes théories, modifieront et amélioreront la loi mathématique qu’il affirme avoir trouvée. Mais, cette personnalité forte, cette énergie de couleurs, cette intuition profonde, ce mélange étonnant d’âpreté et de splendeur, voilà ce qui ne nous sera peut-être pas donné une seconde fois et ce qu’il faut admirer aujourd’hui.

Le style de M. Taine a des insouciances et des ri-