Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/223

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et nombreuses. » L’art, entendu de la sorte, est le produit des hommes et du temps ; il fait partie de l’histoire ; les œuvres ne sont plus que des événements résultant de diverses influences, comme les guerres et les paix. Le beau n’est fait ni de ceci ni de cela : il est dans la vie, dans la libre personnalité ; une œuvre belle est une œuvre vivante, originale, qu’un homme a su tirer de sa chair et de son cœur ; une œuvre belle est encore une œuvre à laquelle tout un peuple a travaillé, qui résume les goûts et les mœurs d’une époque entière. Le grand homme n’a besoin que de s’exercer ; il porte son chef-d’œuvre en lui. De telles idées ont une franchise brutale, lorsqu’elles sont exprimées par un professeur devant des élèves. Le professeur semble dire : « Ecoutez, je ne me sens pas le pouvoir de faire de vous de grands peintres, si vous n’avez pas le tempérament nécessaire ; je ne puis que vous conter l’histoire du passé. Vous verrez comment et pourquoi les maîtres ont grandi ; si vous avez à grandir, vous grandirez vous-mêmes, sans que je m’en mêle. Ma mission se borne à venir causer avec vous de ceux que nous admirons tous, à vous dire ce que le génie a accompli, pour vous encourager à poursuivre la tâche de l’humanité. »

Je le dis tout bas, en fait d’art, je crois que tel est le seul enseignement raisonnable. On apprend une langue, on apprend le dessin, mais on ne saurait apprendre à faire un bon poème, un bon tableau. Poème et tableau doivent sortir d’un jet des cœurs du peintre et du poète, marqués de l’empreinte ineffaçable