Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/231

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prétations sont trop diverses. Là apparaissent cette foule de petits rouages dont j’ai parlé ; cet artiste a obéi aux idées de son temps ; cet autre a réagi, toute action nécessitant une réaction ; cet autre représente le passé qui s’en va ; cet autre annonce l’avenir qui vient.

Adieu la belle unité de la théorie. Ce n’est plus l’application exacte d’une loi simple et claire ; c’est la libre intuition, le jugement délié et ingénieux d’une intelligence savante. Mettez un esprit lourd à la place de cette pensée rapide qui fouille chaque homme et en tire les éléments dont elle a besoin, et vous verrez si cet esprit saura accomplir sa tâche d’une façon si aisée. Voilà qui me donne des inquiétudes ; je me défie de M. Taine, comme d’un homme aux doigts prestes, qui escamote tout ce qui le gêne et ne laisse voir que les éléments qui le servent ; je me dis qu’il peut avoir raison, mais qu’il veut avoir trop raison, qu’il se trompe peut-être lui-même, emporté par son âpre recherche du vrai. Je l’aime et je l’admire, mais j’ai une effroyable peur de me laisser duper, et il y a je ne sais quoi de raide et de tendu dans le système, de généralisé et d’inorganique, qui me met en méfiance et me dit que c’est là le rêve d’un esprit exact et non la vérité absolue. Tout homme qui veut classer et simplifier tend à l’unité, augmente ou diminue malgré lui certaines parties, déforme les objets pour les faire entrer dans le cadre qu’il a choisi. Sans doute, le vrai doit être au moins pour les trois quarts dans la vérité de M. Taine. Il est certain