Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sciences ou les arts que l’on définit n’en marchent ni plus vite ni plus doucement. Une définition n’a qu’un intérêt, celui de résumer toute la théorie de celui qui la formule. Voici celle de M. Taine : « L’œuvre d’art a pour but de manifester quelque caractère essentiel ou saillant, partant quelque idée importante plus clairement et plus complètement que ne le font les objets réels. Elle y arrive en employant un ensemble de parties liées, dont elle modifie systématiquement les rapports. » Ceci a besoin d’être expliqué, étant énoncé d’une façon un peu sèche et mathématique. Ce que le professeur appelle caractère essentiel n’est autre chose que ce que les dogmatiques nomment idéal ; seulement, le caractère essentiel est un idéal beau ou laid, le trait saillant de n’importe quel objet grandi hors nature, interprété par le tempérament de l’artiste. Ainsi, dans la Kermesse de Rubens, le caractère essentiel, l’idéal, est la furie de l’orgie, la rage de la chair saoûle et brutale ; dans la Galatée de Raphaël, au contraire, le caractère essentiel, l’idéal, est la beauté de la femme, sereine, fière, gracieuse. Le but de l’art, pour M. Taine, est donc de fixer l’objet, de le rendre visible et intéressant en le grandissant, en exagérant une de ses parties saillantes. Pour arriver à ce résultat, on comprend qu’on ne peut imiter l’objet dans sa réalité ; il suffit de le copier, en maintenant un certain rapport entre ses diverses proportions, rapport que l’on modifie pour faire prédominer le caractère essentiel. Michel-Ange, grossissant les muscles, tordant les reins, gran-