Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/259

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elle que des faits fatals dépendant du moment ; ou il croit au progrès, à l’échelle de perfection que monte l’humanité, et alors il ne peut plus voir en César un ministre du ciel. Dans le premier cas, tout s’explique : le héros est un produit de l’époque, une simple manifestation du génie humain, très grande et très belle, un incident parmi cent incidents. Dans le second cas, je ne comprends plus rien à la passion de l’écrivain pour le personnage qu’il a choisi : ce n’est pas un progrès que d’aller de la république romaine à l’empire romain, et c’est avoir bien peu de foi dans l’humanité que de la conduire de gaieté de cœur d’un bien en un mal, en invoquant la Providence. Je le demande, où tendait la liberté de Rome en passant au travers de César. La logique ne veut-elle pas qu’un peuple libre reste libre, avant de tenter tout autre progrès ? César, pour un esprit droit, ne saurait être qu’un ambitieux qui a travaillé beaucoup plus dans ses intérêts que dans les intérêts de Dieu.

Je préfère considérer l’auteur comme un politique pratique, et non comme un historien philosophe. Laissons de côté, je vous prie, la Providence et le progrès, l’humanité en marche et les volontés du ciel. Restons sur la terre, et n’étudions l’histoire qu’au point de vue du gouvernement des peuples. Je reconnais que César a été un habile et un rusé. Il a singulièrement compris son temps, et il a employé tout son génie à profiter de la sottise des autres. J’admets et je partage votre admiration. Dégagé de la mission que vous lui