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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/291

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Il ne s’agit donc plus ici de plaire ou de ne pas plaire, il s’agit d’être soi, de montrer son cœur à nu, de formuler énergiquement une individualité.

Je ne suis pour aucune école, parce que je suis pour la vérité humaine, qui exclut toute coterie et tout système. Le mot « art » me déplaît ; il contient en lui je ne sais quelles idées d’arrangements nécessaires, d’idéal absolu. Faire de l’art, n’est-ce pas faire quelque chose qui est en dehors de l’homme et de la nature ? Je veux qu’on fasse de la vie, moi ; je veux qu’on soit vivant, qu’on crée à nouveau, en dehors de tout, selon ses propres yeux et son propre tempérament. Ce que je cherche avant tout dans un tableau, c’est un homme et non pas un tableau.

Il y a, selon moi, deux éléments dans une œuvre : l’élément réel, qui est la nature, et l’élément individuel, qui est l’homme.

L’élément réel, la nature, est fixe, toujours le même ; il demeure égal pour tout le monde ; je dirais qu’il peut servir de commune mesure pour toutes les œuvres produites, si j’admettais qu’il puisse y avoir une commune mesure.

L’élément individuel, au contraire, l’homme, est variable à l’infini : autant d’œuvres et autant d’esprits différents ; si le tempérament n’existait pas, tous les tableaux devraient être forcément de simples photographies.

Donc, une œuvre d’art n’est jamais que la combinaison d’un homme, élément variable, et de la nature, élément fixe. Le mot « réaliste » ne signifie rien pour