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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/305

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chats, avouez-le, et vous n’avez pas perdu votre journée lorsque vous trouvez un chat noir qui vous égaye.

Mais l’œuvre que je préfère est certainement le Joueur de fifre, toile refusée cette année. Sur un fond gris et lumineux, se détache le jeune musicien, en petite tenue, pantalon rouge et bonnet de police. Il souffle dans son instrument, se présentant de face. J’ai dit plus haut que le talent de M. Manet était fait de justesse et de simplicité, me souvenant surtout de l’impression que m’a laissée cette toile. Je ne crois pas qu’il soit possible d’obtenir un effet, plus puissant avec des moyens moins compliqués.

Le tempérament de M. Manet est un tempérament sec, emportant le morceau. Il arrête vivement ses figures, il ne recule pas devant les brusqueries de la nature, il rend dans leur vigueur les différents objets se détachant les uns sur les autres. Tout son être le porte à voir par taches, par morceaux simples et énergiques. On peut dire de lui qu’il se contente de chercher des tons justes et de les juxtaposer ensuite sur une toile. Il arrive que la toile se couvre ainsi d’une peinture solide et forte. Je retrouve dans le tableau un homme qui a la curiosité du vrai et qui tire de lui un monde vivant d’une vie particulière et puissante.

Vous savez quel effet produisent les toiles de M. Manet au Salon. Elles crèvent le mur, tout simplement. Tout autour d’elles s’étalent les douceurs des confiseurs artistiques à la mode, les arbres en sucre candi