Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/313

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m’a-t-on écrit, prenez M. Ribot. Je nie que M. Ribot ait un tempérament qui lui appartienne, et je nie qu’il rende la nature dans sa vérité.

La vérité d’abord. Regardez cette grande toile : Jésus est au milieu des docteurs, dans un coin du temple ; il y a de larges ombres ; des lumières s’étalent par plaques blafardes. Où est le sang ? où est la vie ? Ça, de la réalité ! Mais les têtes de cet enfant et de ces hommes sont creuses ; il n’y a pas un os dans ces chairs flasques et bouffies. Ce n’est pas parce que les types sont vulgaires, n’est-ce pas, que vous voulez me donner ce tableau pour une œuvre réelle ? J’appelle réelle, une œuvre qui vit, une œuvre dont les personnages puissent se mouvoir et parler. Ici, je ne vois que des créatures mortes, toutes pâles et toutes dissoutes.

Qu’importe la vérité ! ai-je dit, si le mensonge est commis par un tempérament particulier et puissant. Alors, M. Ribot doit avoir tout ce qu’il faut pour me plaire. Ces lumières blanchâtres, ces ombres sales sont de simples partis-pris ; l’artiste a imposé son individualité à la nature, et il a créé de toutes pièces ce monde blafard. Le malheur est qu’il n’a rien créé du tout ; son monde existe depuis bien longtemps. C’est un monde espagnol à peine francisé. Non seulement l’œuvre n’est pas vraie, ne vit pas, mais de plus n’est pas une expression nouvelle du génie humain.

M. Ribot n’a rien ajouté à l’art, il n’a pas dit son mot propre, il ne nous a pas révélé un cœur et une