Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/321

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sonne ne rit, personne ne jette des pierres. Courbet a rentré ses serres d’aigle, il ne s’est pas livré entier, et tout le monde bat des mains, tout le monde lui décerne des couronnes.

Je n’ose formuler une règle qui s’impose forcément à moi : c’est que l’admiration de la foule est toujours en raison indirecte du génie individuel. Vous êtes d’autant plus admiré et compris, que vous êtes plus ordinaire.

C’est là un aveu grave que me fait la foule. J’ai le plus grand respect pour le public ; mais si je n’ai pas la prétention de le conduire, j’ai au moins le droit de l’étudier.

Puisque je le vois aller aux tempéraments affadis, aux esprits complaisants, je mets en doute ses jugements, et je songe que je n’ai pas eu un tort aussi grand qu’on veut bien le dire, en admirant un paria, un lépreux de l’art.

Et comme je ne veux pas qu’on se méprenne sur les sentiments d’admiration profonde que j’éprouve pour Courbet, je dis ici ce que j’ai déjà dit ailleurs, il y a un an, lors de l’apparition du livre de Proudhon.

Mon Courbet, à moi, est simplement une personnalité. Le peintre a commencé par imiter les Flamands et certains maîtres de la Renaissance ; mais sa nature se révoltait, et il se sentait entraîné par toute sa chair, — par toute sa chair, entendez-vous ?  — vers le monde matériel qui l’entourait, les femmes grasses et les hommes puissants, les campagnes plan-