Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/356

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je répondrais : Il parle une langue faite de simplicité et de justesse. La note qu’il apporte est cette note blonde emplissant la toile de lumière. La traduction qu’il nous donne est une traduction juste et simplifiée, procédant par grands ensembles, n’indiquant que les masses.

Il nous faut, je ne saurais trop le répéter, oublier mille choses pour comprendre et goûter ce talent. Il ne s’agit plus ici d’une recherche de la beauté absolue ; l’artiste ne peint ni l’histoire ni l’âme ; ce qu’on appelle composition n’existe pas pour lui, et la tâche qu’il s’impose n’est point de représenter telle pensée ou tel acte historique. Et c’est pour cela qu’on ne doit le juger ni en moraliste ni en littérateur ; on doit le juger en peintre. Il traite les tableaux de figures comme il est permis, dans les écoles, de traiter les tableaux de nature morte ; je veux dire qu’il groupe les figures devant lui, un peu au hasard, et qu’il n’a ensuite souci que de les fixer sur la toile telles qu’il les voit, avec les vives oppositions qu’elles font en se détachant les unes sur les autres. Ne lui demandez rien autre chose qu’une traduction d’une justesse littérale. Il ne saurait ni chanter ni philosopher. Il sait peindre, et voilà tout : il a le don, et c’est là son tempérament propre, de saisir dans leur délicatesse les tons dominants et de pouvoir ainsi modeler à grands plans les choses et les êtres.

Il est un enfant de notre âge. Je vois en lui un peintre analyste. Tous les problèmes ont été remis en question, la science a voulu avoir des bases solides,