Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’aime Courbet absolument, tandis que Proudhon ne l’aime que relativement. Sacrifiant l’artiste à l’œuvre, il paraît croire qu’on remplace aisément un maître pareil, et il exprime ses vœux avec tranquillité, persuadé qu’il n’aura qu’à parler pour peupler sa ville de grands maîtres. Le ridicule est qu’il a pris une individualité pour un sentiment général. Courbet mourra, et d’autres artistes naîtront qui ne lui ressembleront point. Le talent ne s’enseigne pas, il grandit dans le sens qui lui plaît. Je ne crois pas que le peintre d’Ornans fasse école ; en tout cas, une école ne prouverait rien. On peut affirmer en toute certitude que le grand peintre de demain n’imitera directement personne ; car, s’il imitait quelqu’un, s’il n’apportait aucune personnalité, il ne serait pas un grand peintre. Interrogez l’histoire de l’art.

Je conseille aux socialistes démocrates qui me paraissent avoir l’envie d’élever des artistes pour leur propre usage, d’enrôler quelques centaines d’ouvriers et de leur enseigner l’art comme on enseigne, au collège, le latin et le grec. Ils auront ainsi, au bout de cinq ou six ans, des gens qui leur feront proprement des tableaux, conçus et exécutés dans leurs goûts et se ressemblant tous les uns les autres, ce qui témoignera d’une touchante fraternité et d’une égalité louable. Alors la peinture contribuera pour une bonne part au perfectionnement de l’espèce. Mais que les socialistes démocrates ne fondent aucun espoir sur les artistes de génie libre et élevés en dehors de leur petite église. Ils pourront en rencontrer un qui leur