Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/54

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Nous sommes ici en pays fanatique, chez un peuple de paysans superstitieux ; ce fait moderne du mariage d’un prêtre va se passer en plein moyen âge. La sorcière ne saurait être loin ; elle est l’âme du récit, elle le domine de tout son fatalisme et donne la véritable note de l’esprit qui l’anime. La figure de la grande Malgaigne apparaît dès le début ; dans le soulèvement général de la contrée, elle se dresse comme l’oracle antique, annonçant le terrible dénoûment que le diable lui permet de prévoir. Cette Malgaigne a prédit jadis à Sombreval : « qu’elle le voyait prêtre, puis marié, puis possesseur du Quesnay, enfin que l’eau lui serait funeste et qu’il y trouverait sa fin. » Vous pensez que toutes ces prédictions s’accomplissent à la lettre : les intérêts de Dieu sont servis par Satan, la sorcellerie vient au secours de la religion. Bien que rentrée au giron de l’Église, la Malgaigne exerce encore parfois son ancienne industrie ; c’est ainsi qu’elle annonce une mort violente à Néel de Néhou, le jeune premier du livre. Il mourra parce qu’il aime Calixte : ainsi le veut l’enfer ou le ciel, je ne sais plus au juste. Ce Néel, fils d’un gentilhomme du voisinage, est destiné à donner dans l’œuvre la note amoureuse ; il aime et ne peut épouser, car la pauvre malade est carmélite, à l’insu même de son père. Tel est le milieu, tels sont les personnages. L’intrigue est simple d’ailleurs. Les paysans ameutés vont jusqu’à accuser Sombreval d’inceste : Alors, fou de désespoir, le père sentant que la maladie de sa fille est toute morale, et craignant qu’une insulte suprême ne la