Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/63

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réguliers, sa démarche noble, ses paroles sinistres et désolées, ce cri de mort dont elle emplit l’œuvre, sont d’un bon effet dans le tableau. Mais au moins que l’auteur n’ait pas la naïveté de venir me donner cette folle comme un être vivant auquel je dois croire. S’il nous conte une légende, j’accepte la Malgaigne. S’il s’avise de me dire que cette légende est un récit vrai, s’il fait de cette hallucinée une messagère de l’autre monde, je lui ris au nez et je refuse la Malgaigne.

On le voit, après m’être arrêté de nouveau aux personnages, je n’accorde aucune portée au roman de M. Barbey d’Aurevilly. La fantaisie et le caprice, le prodige et le cauchemar règnent trop dans cette œuvre pour qu’elle soit une œuvre de discussion sérieuse. Elle se réfute par son emportement fiévreux, par ses créations monstrueuses, par le milieu étrange où elle s’agite. Tout en elle me paraît se tourner contre elle-même. Il n’est pas une personne de bon sens qui n’y trouve un pamphlet terrible contre le célibat des prêtres. On dirait que l’auteur, pris d’une rage soudaine, s’est mis à frapper à droite et à gauche, sans s’inquiéter s’il abattait ses dieux ou les dieux des voisins.

Que dirais-je maintenant de la partie artistique de l’œuvre ? On ne saurait nier que, sous ce point de vue, le livre ne ressemble pas à tous les autres, et qu’il n’y ait en lui une vie chaude et particulière. Sombreval et Calixte, Néel et la Malgaigne, sont à coup sûr des figures hardiment posées, travaillées avec largeur et qui s’imposent à l’esprit ; la fille au bras du père, cette pâle tête appuyée à cette puissante épaule, l’ado-