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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/91

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un monde inconnu, comme une terre nouvelle qui va vous donner peut-être des horizons nouveaux. Éprouvez-vous donc un si violent chagrin à ajouter une page à l’histoire littéraire de votre pays ? Je vous accorde que le passé a eu sa grandeur ; mais le présent est là, et ses manifestations, si imparfaites qu’elles soient, sont une des faces de la vie intellectuelle. L’esprit marche, vous en étonnez-vous ? Votre tâche est de constater ses nouvelles formes, de vous incliner devant toute œuvre qui vit. Qu’importent la correction, les règles suivies, l’ensemble parfait ; il est telles pages écrites à peine en français qui l’emportent à mes yeux sur les ouvrages les mieux conduits, car elles contiennent toute une personnalité, elles ont le mérite suprême d’être uniques et inimitables. Lorsqu’on sera bien persuadé que le véritable artiste vit solitaire, lorsqu’on cherchera avant tout un homme dans un livre, on ne s’inquiétera plus des différentes écoles, on considérera chaque œuvre comme le langage particulier d’une âme, comme le produit unique d’une intelligence.

A ceux qui prétendent que MM. de Goncourt ont été trop loin, je répondrai qu’il ne saurait en principe y avoir de limite dans l’étude de la vérité. Ce sont les époques et les langages qui tolèrent plus ou moins de hardiesse ; la pensée a toujours la même audace. Le crime est donc d’avoir dit tout haut ce que beaucoup d’autres pensent tout bas. Les timides vont opposer madame Bovary à Germinie Lacerteux. Une femme mariée, une femme de médecin, passe encore ; mais