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LES ROUGON-MACQUART.

de Saxe, cette odeur de fauve comme sucrée du musc, la troublait d’habitude ; et elle en riait parfois, elle confessait son goût pour ce parfum équivoque, où il y a de la bête en folie, tombée dans la boîte à poudre de riz d’une fille. Mais, devant ce comptoir banal, elle ne sentait pas les gants, ils ne mettaient aucune chaleur sensuelle entre elle et ce vendeur quelconque faisant son métier.

— Et avec ça, madame ?

— Rien, merci… Veuillez porter ça à la caisse 10, pour madame Desforges, n’est-ce pas ?

En habituée de la maison, elle donnait son nom à une caisse et y envoyait chacune de ses emplettes, sans se faire suivre par un commis. Quand elle se fut éloignée, Mignot cligna les yeux, en se tournant vers son voisin, auquel il aurait bien voulu laisser croire que des choses extraordinaires venaient de se passer.

— Hein ? murmura-t-il crûment, on la ganterait jusqu’au bout !

Cependant, madame Desforges continuait ses achats. Elle revint à gauche, s’arrêta au blanc, pour prendre des torchons ; puis, elle fit le tour, poussa jusqu’aux lainages, au fond de la galerie. Comme elle était contente de sa cuisinière, elle désirait lui donner une robe. Le rayon des lainages débordait d’une foule compacte, toutes les petites bourgeoises s’y portaient, tâtaient les étoffes, s’absorbaient en muets calculs ; et elle dut s’asseoir un instant. Dans les cases s’étageaient de grosses pièces, que les vendeurs descendaient, une à une, d’un brusque effort des bras. Aussi, commençaient-ils à ne plus se reconnaître sur les comptoirs envahis, où les tissus se mêlaient et s’écroulaient. C’était une mer montante de teintes neutres, de tons sourds de laine, les gris fer, les gris jaunes, les gris bleus, où éclataient çà et là des bariolures écossaises, un fond rouge sang de flanelle. Et les