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AU BONHEUR DES DAMES.

étiquettes blanches des pièces étaient comme une volée de rares flocons blancs, mouchetant un sol noir de décembre.

Derrière une pile de popeline, Liénard plaisantait avec une grande fille en cheveux, une ouvrière du quartier, envoyée par sa patronne pour rassortir du mérinos. Il abominait ces jours de grosse vente, qui lui cassaient les bras, et il tâchait d’esquiver la besogne, largement entretenue par son père, se moquant de vendre, en faisant tout juste assez pour ne pas être mis à la porte.

— Écoutez donc, mademoiselle Fanny, disait-il. Vous êtes toujours pressée… Est-ce que la vigogne croisée allait bien, l’autre jour ? Vous savez que j’irai toucher ma guelte chez vous.

Mais l’ouvrière s’échappait en riant, et Liénard se trouva devant madame Desforges, à laquelle il ne put s’empêcher de demander :

— Que désire madame ?

Elle voulait une robe pas chère, solide pourtant. Liénard, dans le but d’épargner ses bras, ce qui était son unique souci, manœuvra pour lui faire prendre une des étoffes déjà dépliées sur le comptoir. Il y avait là des cachemires, des serges, des vigognes, et il lui jurait qu’il n’existait rien de meilleur, on n’en voyait pas la fin. Mais aucun ne semblait la satisfaire. Elle avait avisé, dans une case, un escot bleuâtre. Alors, il finit par se décider, il descendit l’escot, qu’elle jugea trop rude. Ensuite, ce furent une cheviotte, des diagonales, des grisailles, toutes les variétés de la laine, qu’elle eut la curiosité de toucher, pour le plaisir, décidée au fond à prendre n’importe quoi. Le jeune homme dut ainsi déménager les cases les plus hautes ; ses épaules craquaient, le comptoir avait disparu sous le grain soyeux des cachemires et des popelines, sous le poil rêche des cheviottes, sous le duvet pelucheux des vigognes. Tous les tissus et toutes les teintes y passaient. Même, sans