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LES ROUGON-MACQUART.

sa lente promenade, en tournant d’un air ravi, autour du grand étalage de soies.

— Moi, à votre place, j’achèterais le manteau tout fait, dit madame Desforges en revenant au Paris-Bonheur, ça vous coûtera moins cher.

— Il est vrai qu’avec les garnitures et la façon, murmura madame Marty. Puis, on a le choix.

Toutes trois s’étaient levées. Madame Desforges reprit, debout devant Hutin :

— Veuillez nous conduire aux confections.

Il resta saisi, n’étant pas habitué à de pareilles défaites. Comment ! la dame brune n’achetait rien ! son flair l’avait donc trompé ! Il abandonna madame Marty, il insista auprès d’Henriette, essaya sur elle sa puissance de bon vendeur.

— Et vous, madame, ne désirez-vous pas voir nos satins, nos velours ?… Nous avons des occasions extraordinaires.

— Merci, une autre fois, répondit-elle tranquillement, en ne le regardant pas plus qu’elle n’avait regardé Mignot.

Hutin dut reprendre les articles de madame Marty et marcher devant ces dames, pour les mener aux confections. Mais il eut encore la douleur de voir que Robineau était en train de vendre à madame Boutarel un fort métrage de soie. Décidément, il n’avait plus de nez, il ne ferait pas quatre sous. Une rage d’homme dépouillé, mangé par les autres, s’aigrissait sous la correction aimable de ses manières.

— Au premier, mesdames, dit-il sans cesser de sourire.

Ce n’était plus chose facile que de gagner l’escalier. Une houle compacte de têtes roulait sous les galeries, s’élargissait en fleuve débordé au milieu du hall. Toute une bataille du négoce montait, les vendeurs tenaient à merci ce peuple de femmes, qu’ils se passaient des uns