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LES ROUGON-MACQUART.

Du coup, la première acheva de paralyser Denise, en allant lui dire à demi-voix :

— Vous voyez bien que vous ne savez pas. Tenez-vous tranquille, je vous prie.

Et appelant :

— Mademoiselle Vadon, un manteau !

Elle resta, pendant que Marguerite montrait les modèles. Celle-ci prenait avec les clientes une voix sèchement polie, une attitude désagréable de fille vêtue de soie, frottée à toutes les élégances, dont elle gardait à son insu même, la jalousie et la rancune. Lorsqu’elle entendit madame Marty dire qu’elle ne voulait pas dépasser deux cents francs, elle eut une moue de pitié. Oh ! madame mettrait davantage, il était impossible avec deux cents francs que madame trouvât quelque chose de convenable. Et elle jetait, sur un comptoir, les manteaux ordinaires, d’un geste qui signifiait : « Voyez donc, est-ce pauvre ! » Madame Marty n’osait les trouver bien. Elle se pencha pour murmurer à l’oreille de madame Desforges :

— Hein ? n’aimez-vous pas mieux être servie par des hommes ?… On est plus à l’aise.

Enfin, Marguerite apporta un manteau de soie garni de jais, qu’elle traitait avec respect. Et madame Aurélie appela Denise.

— Servez à quelque chose, au moins… Mettez ça sur vos épaules.

Denise, frappée au cœur, désespérant de jamais réussir dans la maison, était demeurée immobile, les mains ballantes. On allait la renvoyer sans doute, les enfants seraient sans pain. Le brouhaha de la foule bourdonnait dans sa tête, elle se sentait chanceler, les muscles meurtris d’avoir soulevé des brassées de vêtements, besogne de manœuvre qu’elle n’avait jamais faite. Pourtant, il lui fallut obéir, elle dut laisser Marguerite