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LES ROUGON-MACQUART.

et des grands peupliers, qui s’endormaient dans la nuit calme. Baugé venait de demander l’addition, en voyant que Denise n’allait pas mieux, toute blanche, le menton convulsé par les larmes qu’elle retenait ; mais le garçon ne reparaissait plus, et elle dut subir encore les éclats de voix de Hutin. Maintenant, il se disait plus chic que Liénard, parce que Liénard mangeait simplement l’argent de son père, tandis que lui mangeait de l’argent gagné, le fruit de son intelligence. Enfin, Baugé paya, les deux femmes sortirent.

— En voilà une du Louvre, murmura Pauline dans la première salle, en regardant une grande fille mince qui mettait son manteau.

— Tu ne la connais pas, tu n’en sais rien, dit le jeune homme.

— Avec ça ! et la façon de se draper !… Rayon de l’accoucheuse, va ! Si elle a entendu, elle doit être contente !

Ils étaient dehors. Denise eut un soupir de soulagement. Elle avait cru mourir, dans cette chaleur suffocante, au milieu de ces cris ; et elle expliquait toujours son malaise par le manque d’air. À présent, elle respirait. Une fraîcheur tombait du ciel étoilé. Comme les deux jeunes filles quittaient le jardin du restaurant, une voix timide murmura dans l’ombre :

— Bonsoir, mesdemoiselles.

C’était Deloche. Elles ne l’avaient pas vu au fond de la première salle, où il dînait seul, après être venu de Paris à pied, pour le plaisir. En reconnaissant cette voix amie, Denise, souffrante, céda machinalement au besoin d’un soutien.

— Monsieur Deloche, vous rentrez avec nous, dit-elle. Donnez-moi votre bras.

Déjà Pauline et Baugé marchaient devant. Ils s’étonnèrent. Ils n’auraient pas cru que ça se ferait ainsi, et