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AU BONHEUR DES DAMES.

les bras les deux enfants. Les sensations des premières semaines renaissaient, il lui semblait être un grain de mil sous une meule puissante ; et c’était, en elle, un abandon découragé, à se sentir si peu de chose, dans cette grande machine qui l’écraserait avec sa tranquille indifférence. Aucune illusion n’était possible : si l’on congédiait une vendeuse des confections, elle se trouvait désignée. Sans doute, pendant la partie de Rambouillet, ces demoiselles avaient monté la tête de madame Aurélie, car cette dernière la traitait depuis lors d’un air de sévérité, où il entrait comme une rancune. On ne lui pardonnait pas d’ailleurs d’être allée à Joinville, on voyait là une révolte, une façon de narguer le comptoir tout entier, en s’affichant dehors avec une demoiselle du comptoir ennemi. Jamais Denise n’avait plus souffert au rayon, et maintenant elle désespérait de le conquérir.

— Laissez-les donc ! répétait Pauline, des poseuses qui sont bêtes comme des oies !

Mais c’était justement ces allures de dame qui intimidaient la jeune fille. Presque toutes les vendeuses, dans leur frottement quotidien avec la clientèle riche, prenaient des grâces, finissaient par être d’une classe vague, flottant entre l’ouvrière et la bourgeoise ; et, sous leur art de s’habiller, sous les manières et les phrases apprises, il n’y avait souvent qu’une instruction fausse, la lecture des petits journaux, des tirades de drame, toutes les sottises courantes du pavé de Paris.

— Vous savez que la mal peignée a un enfant, dit un matin Clara, en arrivant au rayon.

Et, comme on s’étonnait :

— Puisque je l’ai vue hier soir qui promenait le mioche !… Elle doit le remiser quelque part.

À deux jours de là, Marguerite, en remontant de dîner, donna une autre nouvelle.

— C’est du propre, je viens de voir l’amant de la mal