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AU BONHEUR DES DAMES.

— Ce que je m’en fiche !

À ce moment, Denise traversait le rayon des soieries, en ralentissant sa marche et en regardant autour d’elle, pour découvrir Robineau. Elle ne le vit pas, alla dans la galerie du blanc, puis traversa une seconde fois. Les deux vendeurs s’étaient aperçus de son manège.

— La voilà encore, cette désossée ! murmura Hutin.

— Elle cherche Robineau, dit Favier. Je ne sais ce qu’ils fricotent ensemble. Oh ! rien de drôle, Robineau est trop bête là-dessus… On raconte qu’il lui a procuré un petit travail, des nœuds de cravate. Hein ? quel négoce !

Hutin méditait une méchanceté. Lorsque Denise passa près de lui, il l’arrêta, en disant :

— C’est moi que vous cherchez ?

Elle devint très rouge. Depuis la soirée de Joinville, elle n’osait lire dans son cœur, où se heurtaient des sentiments confus. Elle le revoyait sans cesse avec cette fille aux cheveux roux, et si elle frémissait encore devant lui, c’était peut-être de malaise. L’avait-elle aimé ? l’aimait-elle toujours ? elle ne voulait point remuer ces choses, qui lui étaient pénibles.

— Non, monsieur, répondit-elle, embarrassée.

Alors, Hutin s’amusa de sa gêne.

— Si vous désirez qu’on vous le serve… Favier, servez donc Robineau à mademoiselle.

Elle le regarda fixement, du regard triste et calme dont elle recevait les allusions blessantes de ces demoiselles. Ah ! il était méchant, il la frappait ainsi que les autres ! Et il y avait en elle comme un déchirement, un dernier lien qui se rompait. Son visage exprima une telle souffrance, que Favier, peu tendre de son naturel, vint pourtant à son secours.

— Monsieur Robineau est au rassortiment, dit-il. Il rentrera pour déjeuner sans doute… Vous le trouverez cet après-midi, si vous avez à lui parler.