Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
LES ROUGON-MACQUART.

et qu’il mangeait la part de Pépé, le bouleversa tellement, qu’il se mit à pleurer.

— Tu as raison, je suis un chenapan, cria-t-il. Mais ce n’est pas vilain, va ! au contraire, et voilà pourquoi on recommence… Celle-là, vois-tu, a déjà vingt ans. Elle croyait rire, parce que j’en ai à peine dix-sept… Mon Dieu ! que je suis donc furieux contre moi ! Je me flanquerais des gifles !

Il lui avait pris les mains, il les baisait, les mouillait de larmes.

— Donne-moi les quinze francs, ce sera la dernière fois, je te le jure… Ou bien, non ! ne me donne rien, j’aime mieux mourir. Si le mari m’assassine, tu seras bien débarrassée.

Et, comme elle aussi pleurait, il eut un remords.

— Je dis ça, je n’en sais rien. Peut-être qu’il ne veut tuer personne. Nous nous arrangerons, je te le promets, petite sœur. Allons, adieu, je pars.

Mais un bruit de pas, au bout du corridor, les inquiéta. Elle le ramena contre la réserve, dans un coin d’ombre. Pendant un instant, ils n’entendirent plus que le sifflement d’un bec de gaz, près d’eux. Puis, les pas se rapprochèrent ; et, en allongeant la tête, elle reconnut l’inspecteur Jouve, qui venait de s’engager dans le corridor, de son air raide. Passait-il par hasard ? quelqu’autre surveillant, de planton à la porte, l’avait-il averti ? Elle fut prise d’une telle crainte, qu’elle perdit la tête ; et elle poussa Jean hors du trou de ténèbres où ils se cachaient, le chassa devant elle, balbutia :

— Va-t’en ! va-t’en !

Tous deux galopaient, en entendant derrière leurs talons le souffle du père Jouve, qui s’était mis également à courir. Ils traversèrent de nouveau le service du départ, ils arrivèrent au pied de l’escalier dont la cage vitrée débouchait sur la rue de la Michodière.