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LES ROUGON-MACQUART.

Et, comme elle refusait, craignant de le gêner :

— Tonnerre de Dieu ! vous vous méfiez de moi… Je ne le mangerai pas, votre enfant !

Denise fut plus heureuse chez Robineau. Il la payait peu, soixante francs par mois, et nourrie seulement, sans intérêt sur la vente, comme dans les vieilles maisons. Mais elle était traitée avec beaucoup de douceur, surtout par madame Robineau, toujours souriante à son comptoir. Lui, nerveux, tourmenté, avait parfois des brusqueries. Au bout d’un mois, Denise faisait partie de la famille, ainsi que l’autre vendeuse, une petite femme poitrinaire et silencieuse. On ne se gênait plus devant elles, on causait des affaires, à table, dans l’arrière-boutique, qui donnait sur une grande cour. Et ce fut là qu’un soir on décida l’entrée en campagne contre le Bonheur des Dames.

Gaujean était venu dîner. Dès le rôti, un gigot bourgeois, il avait abordé la question, de sa voix blanche de Lyonnais, épaissie par les brouillards du Rhône.

— Ça devient impossible, répétait-il. Ils arrivent chez Dumonteil, n’est-ce pas ? se réservent la propriété d’un dessin, emportent du coup trois cents pièces, en exigeant une diminution de cinquante centimes par mètre ; et, comme ils payent comptant, ils bénéficient encore de l’escompte de dix-huit pour cent… Souvent, Dumonteil ne gagne pas vingt centimes. Il travaille pour occuper ses métiers, car tout métier qui chôme est un métier qui meurt… Alors, comment voulez-vous que nous, avec notre outillage plus restreint, et surtout avec nos façonniers, nous puissions soutenir la lutte ?

Robineau, rêveur, oubliait de manger.

— Trois cents pièces ! murmura-t-il. Moi, je tremble, quand j’en prends douze, et à quatre-vingt-dix jours… Ils peuvent afficher un franc, deux francs meilleur marché que nous. J’ai calculé qu’il y a une baisse de quinze pour