Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
245
AU BONHEUR DES DAMES.

fait, je voulais seulement vous apprendre que tout le monde, chez nous, connaît aujourd’hui votre tendresse pour vos frères…

Il continua, fut d’une politesse respectueuse, à laquelle les vendeuses du Bonheur des Dames n’étaient guère habituées de sa part. Le trouble de Denise avait augmenté ; mais une joie inondait son cœur. Il savait donc qu’elle ne s’était donnée à personne ! Tous deux gardaient le silence, il restait près d’elle, réglant ses pas sur les petits pas de l’enfant ; et les bruits lointains de Paris se mouraient, sous les ombres noires des grands arbres.

— Je n’ai qu’une réhabilitation à vous offrir, mademoiselle, reprit-il. Naturellement, si vous désirez rentrer chez nous…

Elle l’interrompit, elle refusa avec une hâte fébrile.

— Monsieur, je ne puis pas… Je vous remercie tout de même, mais j’ai trouvé ailleurs.

Il le savait, on lui avait appris depuis peu qu’elle était chez Robineau. Et, tranquillement, sur un pied d’égalité charmante, il lui parla de ce dernier, auquel il rendait justice : un garçon d’une intelligence vive, trop nerveux seulement. Il aboutirait à une catastrophe, Gaujean l’avait écrasé d’une affaire très lourde, où tous deux resteraient. Alors, Denise, gagnée par cette familiarité, se livra davantage, laissa voir qu’elle était pour les grands magasins, dans la bataille livrée entre ceux-ci et le petit commerce ; elle s’animait, citait des exemples, se montrait au courant de la question, remplie même d’idées larges et nouvelles. Lui, ravi, l’écoutait avec surprise. Il se tournait, tâchait de distinguer ses traits, dans la nuit grandissante. Elle semblait toujours la même, vêtue d’une robe simple, le visage doux ; mais, de cet effacement modeste, montait un parfum pénétrant dont il subissait la puissance. Sans doute, cette petite s’était faite à l’air de Paris, la voilà qui devenait femme, et elle était troublante, si