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AU BONHEUR DES DAMES.

dans l’ancien Hôtel Duvillard, avait imaginé de creuser un passage, sous la petite maison qui les séparait. Cette maison appartenant à la société Mouret et Cie, et le bail portant que le locataire devrait supporter les travaux de réparation, des ouvriers se présentèrent un matin. Du coup, Bourras faillit avoir une attaque. N’était-ce pas assez de l’étrangler de tous les côtés, à gauche, à droite, derrière ? il fallait encore qu’on le prît par les pieds, qu’on mangeât la terre sous lui ! Et il avait chassé les maçons, il plaiderait. Des travaux de réparation, soit ! mais c’étaient là des travaux d’embellissement. Le quartier pensait qu’il gagnerait, sans pourtant jurer de rien. En tout cas, le procès menaçait d’être long, on se passionnait pour ce duel interminable.

Le jour où Denise résolut enfin de lui donner congé, Bourras revenait précisément de chez son avocat.

— Croyez-vous ! cria-t-il, ils disent maintenant que la maison n’est pas solide, ils prétendent établir qu’il faut en reprendre les fondations… Parbleu ! ils sont las de la secouer, avec leurs sacrées machines. Ce n’est pas étonnant, si elle se casse !

Puis, quand la jeune fille lui eut annoncé qu’elle partait, qu’elle rentrait au Bonheur avec mille francs d’appointements, il fut si saisi, qu’il leva seulement vers le ciel ses vieilles mains tremblantes. L’émotion l’avait fait tomber sur une chaise.

— Vous ! vous ! balbutia-t-il. Enfin, il n’y a que moi, il ne reste plus que moi !

Au bout d’un silence, il demanda :

— Et le petit ?

— Il retournera chez madame Gras, répondit Denise. Elle l’aimait beaucoup.

De nouveau, ils se turent. Elle l’aurait préféré furieux, jurant, tapant du poing ; ce vieillard suffoqué, écrasé, la