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AU BONHEUR DES DAMES.

indiennes en hiver ; il les entourait de rayons vivants, les noyait dans du vacarme. Lui seul avait encore imaginé de placer au deuxième étage les comptoirs des tapis et des meubles, des comptoirs où les clientes étaient plus rares, et dont la présence au rez-de-chaussée aurait creusé des trous vides et froids. S’il en avait découvert le moyen, il aurait fait passer la rue au travers de sa maison.

Justement, Mouret se trouvait en proie à une crise d’inspiration. Le samedi soir, comme il donnait un dernier coup d’œil aux préparatifs de la grande vente du lundi, dont on s’occupait depuis un mois, il avait eu la conscience soudaine que le classement des rayons adopté par lui, était inepte. C’était pourtant un classement d’une logique absolue, les tissus d’un côté, les objets confectionnés de l’autre, un ordre intelligent qui devait permettre aux clientes de se diriger elles-mêmes. Il avait rêvé cet ordre autrefois, dans le fouillis de l’étroite boutique de madame Hédouin ; et voilà qu’il se sentait ébranlé, le jour où il le réalisait. Brusquement, il s’était écrié qu’il fallait « lui casser tout ça. » On avait quarante-huit heures, il s’agissait de déménager une partie des magasins. Le personnel, effaré, bousculé, avait dû passer les deux nuits et la journée entière du dimanche, au milieu d’un gâchis épouvantable. Même le lundi matin, une heure avant l’ouverture, des marchandises ne se trouvaient pas encore en place. Certainement, le patron devenait fou, personne ne comprenait, c’était une consternation générale.

— Allons, dépêchons ! criait Mouret, avec la tranquille assurance de son génie. Voici encore des costumes qu’il faut me porter là-haut… Et le Japon est-il installé sur le palier central ?… Un dernier effort, mes enfants, vous verrez la vente tout à l’heure !

Bourdoncle, lui aussi, était là depuis le petit jour. Pas