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LES ROUGON-MACQUART.

des motifs compliqués, des étoiles faites d’ombrelles à trente-neuf sous, dont les teintes claires, bleu pâle, blanc crème, rose tendre, brûlaient avec une douceur de veilleuse ; tandis que, au-dessus, d’immenses parasols japonais, où des grues couleur d’or volaient dans un ciel de pourpre, flambaient avec des reflets d’incendie.

Madame Marty cherchait une phrase pour dire son ravissement, et elle ne trouva que cette exclamation :

— C’est féerique !

Puis, tâchant de s’orienter :

— Voyons, le lacet est à la mercerie… J’achète mon lacet et je me sauve.

— Je vous accompagne, dit madame de Boves. N’est-ce pas, Blanche, nous traversons les magasins, pas davantage ?

Mais, dès la porte, ces dames étaient perdues. Elles tournèrent à gauche ; et, comme on avait déménagé la mercerie, elles tombèrent au milieu des ruches, puis au milieu des parures. Sous les galeries couvertes, il faisait très chaud, une chaleur de serre, moite et enfermée, chargée de l’odeur fade des tissus, et dans laquelle s’étouffait le piétinement de la foule. Alors, elles revinrent devant la porte, où s’établissait un courant de sortie, tout un défilé interminable de femmes et d’enfants, sur qui flottait un nuage de ballons rouges. Quarante mille ballons étaient prêts, il y avait des garçons chargés spécialement de la distribution. À voir les acheteuses qui se retiraient, on aurait dit en l’air, au bout des fils invisibles, un vol d’énormes bulles de savon, reflétant l’incendie des ombrelles. Le magasin en était tout illuminé.

— C’est un monde, déclarait madame de Boves. On ne sait plus où l’on est.

Pourtant, ces dames ne pouvaient rester dans le remous de la porte, en pleine bousculade de l’entrée et de