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AU BONHEUR DES DAMES.

passait. Elle venait de remettre entre les mains de Liénard, aux mérinos, madame Boutarel, cette dame de province, qui débarquait à Paris deux fois par an, pour jeter aux quatre coins du Bonheur l’argent qu’elle rognait sur son ménage. Et, comme Favier prenait déjà le foulard de madame Desforges, Hutin, croyant le contrarier, l’arrêta.

— C’est inutile, mademoiselle aura l’obligeance de conduire madame.

Denise, troublée, voulut bien se charger du paquet et de la note de débit. Elle ne pouvait rencontrer le jeune homme face à face, sans éprouver une honte, comme s’il lui rappelait une faute ancienne. Cependant, son rêve seul avait péché.

— Dites-moi, demanda tout bas madame Desforges à Bouthemont, n’est-ce pas cette fille si maladroite ? Il l’a donc reprise ?… Mais c’est elle, l’héroïne de l’aventure !

— Peut-être, répondit le chef de rayon, toujours souriant et bien décidé à ne pas dire la vérité.

Alors, précédée de Denise, madame Desforges monta lentement l’escalier. Il lui fallait s’arrêter toutes les trois secondes, pour ne pas être emportée par le flot qui descendait. Dans la vibration vivante de la maison entière, les limons de fer avaient sous les pieds un branle sensible, comme tremblant aux haleines de la foule. À chaque marche, un mannequin, solidement fixé, plantait un vêtement immobile, costumes, paletots, robes de chambre ; et l’on eût dit une double haie de soldats pour quelque défilé triomphal, avec le petit manche de bois pareil au manche d’un poignard, enfoncé dans le molleton rouge, qui saignait à la section fraîche du cou.

Madame Desforges arrivait enfin au premier étage, lorsqu’une poussée plus rude que les autres, l’immobilisa