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LES ROUGON-MACQUART.

que la foule ne s’y étouffait pas. Et, là, il avait autorisé un de ses vendeurs à exposer, sur une petite table, des curiosités de la Chine et du Japon, quelques bibelots à bas prix, que les clientes s’arrachaient. C’était un succès inattendu, déjà il rêvait d’élargir cette vente. Madame Marty, pendant que deux garçons montaient la chaise au second étage, acheta six boutons d’ivoire, des souris en soie, un porte-allumettes en émail cloisonné.

Au second, la course recommença. Denise, qui depuis le matin promenait ainsi des clientes, tombait de lassitude ; mais elle restait correcte, avec sa douceur polie. Elle dut encore attendre ces dames aux étoffes d’ameublement, où une cretonne ravissante avait accroché madame Marty. Puis, aux meubles, ce fut une table à ouvrage dont cette dernière eut le désir. Ses mains tremblaient, elle suppliait en riant madame Desforges de l’empêcher de dépenser davantage, lorsque la rencontre de madame Guibal lui apporta une excuse. C’était au rayon des tapis, celle-ci venait enfin de monter rendre tout un achat de portières d’Orient, fait par elle depuis cinq jours ; et elle causait, debout devant le vendeur, un grand gaillard, dont les bras de lutteur remuaient, du matin au soir, des charges à tuer un bœuf. Naturellement, il était consterné par ce « rendu », qui lui enlevait son tant pour cent. Aussi tâchait-il d’embarrasser la cliente, flairant quelque aventure louche, sans doute un bal donné avec les portières, prises au Bonheur, puis renvoyées, afin d’éviter une location chez un tapissier ; il savait que cela se faisait parfois, dans la bourgeoisie économe. Madame devait avoir une raison pour les rendre ; si c’étaient les dessins ou les couleurs qui n’allaient pas à madame, il lui montrerait autre chose, il avait un assortiment très complet. À toutes ces insinuations, madame Guibal répondait tranquillement, de son