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LES ROUGON-MACQUART.

plus fortes succombaient. Les mains s’enfonçaient parmi les pièces débordantes, et elles en gardaient un tremblement d’ivresse.

— Je crois que ces dames vous ruinent, reprit Vallagnosc, amusé par la rencontre.

M. de Boves eut le geste d’un mari d’autant plus sûr de la raison de sa femme, qu’il ne lui donne pas un sou. Celle-ci, après avoir battu tous les rayons avec sa fille, sans rien acheter, venait d’échouer aux dentelles, dans une rage de désir inassouvi. Brisée de fatigue, elle se tenait pourtant debout devant un comptoir. Elle fouillait dans le tas, ses mains devenaient molles, des chaleurs lui montaient aux épaules. Puis, brusquement, comme sa fille tournait la tête et que le vendeur s’éloignait, elle voulut glisser sous son manteau une pièce de point d’Alençon. Mais elle tressaillit, elle lâcha la pièce, en entendant la voix de Vallagnosc, qui disait gaiement :

— Nous vous surprenons, madame.

Pendant quelques secondes, elle demeura muette, toute blanche. Ensuite, elle expliqua que, se sentant beaucoup mieux, elle avait désiré prendre l’air. Et, en remarquant enfin que son mari se trouvait avec madame Guibal, elle se remit complètement, elle les regarda d’un air si digne, que celle-ci crut devoir dire :

— J’étais avec madame Desforges, ces messieurs nous ont rencontrées.

Précisément, les autres dames arrivaient. Mouret les avait accompagnées, et il les retint un instant encore, pour leur montrer l’inspecteur Jouve, qui filait toujours la femme enceinte et son amie. C’était très curieux, on ne s’imaginait pas le nombre de voleuses qu’on arrêtait aux dentelles. Madame de Boves qui l’écoutait, se voyait entre deux gendarmes, avec ses quarante-cinq ans, son luxe, la haute situation de son mari ; et elle était sans remords, elle songeait qu’elle aurait dû glisser le coupon dans sa