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LES ROUGON-MACQUART.

d’hôtel garni qui les emportait matin et soir. D’ailleurs, à titre de seconde, Denise avait une des plus grandes chambres, dont les deux fenêtres mansardées ouvraient sur la rue. Riche à présent, elle se donnait du luxe, un édredon rouge recouvert d’un voile de guipure, un petit tapis devant l’armoire, deux vases de verre bleu sur la toilette, où se fanaient des roses.

Quand elle fut chaussée, elle essaya de marcher dans la pièce. Il lui fallut s’appuyer aux meubles, car elle boitait encore. Mais cela s’échaufferait. Tout de même elle avait eu raison de refuser, pour le soir, une invitation à dîner de l’oncle Baudu, et de prier sa tante de faire sortir Pépé, qu’elle avait remis en pension chez madame Gras. Jean, qui était venu la voir la veille, dînait aussi chez l’oncle. Doucement, elle continuait de s’essayer à marcher, en se promettant de se coucher de bonne heure, afin de reposer sa jambe, lorsque la surveillante, madame Cabin, frappa et lui donna une lettre, d’un air de mystère.

La porte refermée, Denise, étonnée du sourire discret de cette femme, ouvrit la lettre. Elle se laissa tomber sur une chaise : c’était une lettre de Mouret, où il se disait heureux de son rétablissement et la priait de descendre le soir dîner avec lui, puisqu’elle ne pouvait sortir. Le ton de ce billet, à la fois familier et paternel, n’avait rien de blessant ; mais il lui était impossible de se méprendre, le Bonheur connaissait bien la signification vraie de ces invitations, une légende courait là-dessus : Clara avait dîné, d’autres aussi, toutes celles que le patron remarquait. Après le dîner, comme disaient les commis farceurs, il y avait le dessert. Et les joues blanches de la jeune fille étaient peu à peu envahies par un flot de sang.

Alors, la lettre glissée entre les genoux, le cœur battant à coups profonds, Denise resta les yeux fixés sur la