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AU BONHEUR DES DAMES.

rien. Après avoir lu la lettre, elle se serra contre Denise, la prit à la taille, pour lui murmurer doucement :

— Ma chère, si vous voulez que je sois franche, je croyais que c’était fait… Ne vous révoltez donc pas, je vous assure que tout le magasin doit le croire comme moi. Dame ! il vous a nommée seconde si vite, puis il est toujours après vous, ça crève les yeux !

Elle lui mit un gros baiser sur la joue. Puis, elle l’interrogea.

— Vous irez ce soir, naturellement ?

Denise la regardait sans répondre. Et, tout d’un coup, elle éclata en sanglots, la tête appuyée sur l’épaule de son amie. Celle-ci demeura très surprise.

— Voyons, calmez-vous. Il n’y a rien là dedans qui puisse vous bouleverser ainsi.

— Non, non, laissez-moi, bégayait Denise. Si vous saviez comme j’ai du chagrin ! Depuis que j’ai reçu cette lettre, je ne vis plus… Laissez-moi pleurer, cela me soulage.

Très apitoyée, sans comprendre pourtant, la lingère chercha des consolations. D’abord, il ne voyait plus Clara. On disait bien qu’il allait chez une dame au dehors, mais ce n’était pas prouvé. Puis, elle expliqua qu’on ne pouvait être jalouse d’un homme dans une pareille position. Il avait trop d’argent, il était le maître après tout.

Denise l’écoutait ; et, si elle avait encore ignoré son amour, elle n’en aurait plus douté à la souffrance dont le nom de Clara et l’allusion à madame Desforges lui tordirent le cœur. Elle entendait la voix mauvaise de Clara, elle revoyait madame Desforges la promener dans les magasins, avec son mépris de dame riche.

— Alors, vous iriez, vous ? demanda-t-elle.

Pauline, sans se consulter, cria :

— Sans doute, est-ce qu’on peut faire autrement !

Puis, elle réfléchit, elle ajouta :