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LES ROUGON-MACQUART.

ça valait mieux, tout le monde était à son aise. Puis, Mignot, qui voulait ses vingt francs, alla se pencher à l’oreille de Lhomme. Celui-ci, arrêté dans ses écritures, parut saisi d’un grand trouble. Il n’osait refuser pourtant, il cherchait une pièce de dix francs, dans son porte-monnaie, lorsque madame Aurélie, étonnée de ne plus entendre la voix de Marguerite, qui avait dû s’interrompre, aperçut Mignot et comprit. Elle le renvoya rudement à son rayon, elle n’avait pas besoin qu’on vînt distraire ces demoiselles. La vérité était qu’elle redoutait le jeune homme, le grand ami de son fils Albert, le complice de farces louches qu’elle tremblait de voir mal finir un jour. Aussi, lorsque Mignot tint les dix francs et qu’il se fut sauvé, ne put-elle s’empêcher de dire à son mari :

— S’il est permis ! vous laisser dindonner de la sorte !

— Mais, ma bonne, je ne pouvais vraiment refuser à ce garçon…

Elle lui ferma la bouche d’un haussement de ses fortes épaules. Puis, comme les vendeuses s’égayaient sournoisement de cette explication de famille, elle reprit avec sévérité :

— Allons, mademoiselle Vadon, ne nous endormons pas.

— Vingt paletots, cachemire double, quatrième grandeur, à dix-huit francs cinquante ! lança Marguerite, de sa voix chantante.

Lhomme, la tête basse, écrivait de nouveau. Peu à peu, on avait élevé ses appointements à neuf mille francs ; et il gardait son humilité devant madame Aurélie, qui apportait toujours près du triple dans le ménage.

Pendant un instant, la besogne marcha. Les chiffres volaient, les paquets de vêtements pleuvaient dru sur les tables. Mais Clara avait inventé une autre distraction : elle taquinait le garçon Joseph, au sujet d’une passion