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LES ROUGON-MACQUART.

tant, il se contenait, il reprit de son air de patron obligeant qui s’intéresse simplement à une de ses demoiselles :

— Voyons, si je vous priais… Vous savez dans quelle estime je vous tiens.

Denise garda son attitude respectueuse.

— Je suis très touchée, monsieur, de votre bonté pour moi, et je vous remercie de cette invitation. Mais, je le répète, c’est impossible, mes frères m’attendent ce soir.

Elle s’entêtait à ne pas comprendre. La porte demeurait ouverte, et elle sentait bien cependant le magasin entier qui la poussait. Pauline l’avait traitée amicalement de grande sotte, les autres se moqueraient d’elle, si elle refusait l’invitation. Madame Aurélie qui s’en était allée, Marguerite dont elle entendait monter la voix, le dos de Lhomme qu’elle apercevait immobile et discret, tous voulaient sa chute, tous la jetaient au maître. Et le ronflement lointain de l’inventaire, ces millions de marchandises, criés à la volée, remués à bout de bras, étaient comme un vent chaud qui soufflait la passion jusqu’à elle.

Il y eut un silence. Par moments, le bruit couvrait les paroles de Mouret, qu’il accompagnait du vacarme formidable d’une fortune de roi, gagnée dans les batailles.

— Alors, quand viendrez-vous ? demanda-t-il de nouveau. Demain ?

Cette simple question troubla Denise. Elle perdit un instant son calme, elle balbutia :

— Je ne sais pas… Je ne puis pas…

Il sourit, il essaya de lui prendre une main, qu’elle retira.

— De quoi donc avez-vous peur ?

Mais elle relevait déjà la tête, elle le regardait en face, et elle dit, en souriant de son air doux et brave :