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LES ROUGON-MACQUART.

le glas de la quarantaine, elle se demandait avec terreur comment remplacer ce grand amour.

— Oh ! je me vengerai, murmura-t-elle, je me vengerai, s’il se conduit mal !

Bouthemont lui tenait toujours les mains. Elle était encore belle. Ce serait seulement une maîtresse gênante, et il n’aimait guère ce genre-là. La chose pourtant méritait réflexion, il y aurait peut-être intérêt à risquer des ennuis.

— Pourquoi ne vous établissez-vous pas ? dit-elle tout d’un coup, en se dégageant.

Il demeura étonné. Puis, il répondit :

— Mais il faudrait des fonds considérables… L’année dernière, une idée m’a bien travaillé la tête. Je suis convaincu qu’on trouverait encore, dans Paris, la clientèle d’un ou deux grands magasins ; seulement, il faudrait choisir le quartier. Le Bon Marché a la rive gauche, le Louvre tient le centre ; nous accaparons, au Bonheur, les quartiers riches de l’ouest. Reste le nord, où l’on pourrait créer une concurrence à la place Clichy. Et j’avais découvert une situation superbe, près de l’Opéra…

— Eh bien ?

Il se mit à rire bruyamment.

— Imaginez-vous que j’ai eu la bêtise de parler de cela à mon père… Oui, j’ai été assez naïf pour le prier de chercher des actionnaires à Toulouse.

Et il conta gaiement la colère du bonhomme, enragé contre les grands bazars parisiens, du fond de sa petite boutique de province. Le vieux Bouthemont, que les trente mille francs gagnés par son fils suffoquaient, avait répondu qu’il donnerait son argent et celui de ses amis aux hospices, plutôt que de contribuer pour un centime à un de ces grands magasins qui étaient les maisons de tolérance du commerce.