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AU BONHEUR DES DAMES.

contre les faits, les vaincre ou être vaincu par eux, toute la joie et toute la santé humaines sont là !

— Simple façon de s’étourdir, murmura l’autre.

— Eh bien ! j’aime mieux m’étourdir… Crever pour crever, je préfère crever de passion que de crever d’ennui !

Ils rirent tous les deux, cela leur rappelait leurs vieilles discussions du collège. Vallagnosc, d’une voix molle, se plut alors à étaler la platitude des choses. Il mettait une sorte de fanfaronnade dans l’immobilité et le néant de son existence. Oui, il s’ennuierait le lendemain au ministère, comme il s’y était ennuyé la veille ; en trois ans, on l’avait augmenté de six cents francs, il était maintenant à trois mille six, pas même de quoi fumer des cigares propres ; ça devenait de plus en plus inepte, et si l’on ne se tuait pas, c’était par simple paresse, pour éviter de se déranger. Mouret lui ayant parlé de son mariage avec mademoiselle de Boves, il répondit que, malgré l’obstination de la tante à ne pas mourir, l’affaire allait être conclue ; du moins, il le pensait, les parents étaient d’accord, lui affectait de n’avoir pas de volonté. Pourquoi vouloir ou ne pas vouloir, puisque jamais ça ne tournait comme on le désirait ? Il donna en exemple son futur beau-père, qui comptait trouver en madame Guibal une blonde indolente, le caprice d’une heure, et que la dame menait à coups de fouet, ainsi qu’un vieux cheval dont on use les dernières forces. Tandis qu’on le croyait occupé à inspecter les étalons de Saint-Lô, elle achevait de le manger, dans une petite maison louée par lui à Versailles.

— Il est plus heureux que toi, dit Mouret en se levant.

— Oh ! lui, pour sûr ! déclara Vallagnosc. Il n’y a peut-être que le mal qui soit un peu drôle.

Mouret s’était remis. Il songeait à s’échapper ; mais il