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AU BONHEUR DES DAMES.

d’une vierge. De quelle manière déjouer la tactique de cette fausse ingénue ? Il ne cherchait plus qu’à pénétrer ses artifices, dans l’espoir de les dévoiler au grand jour ; certainement, elle commettrait quelque faute, il la surprendrait avec un de ses amants, et elle serait chassée de nouveau, la maison retrouverait enfin son beau fonctionnement de machine bien montée.

— Veillez, monsieur Jouve, répétait Bourdoncle à l’inspecteur. C’est moi qui vous récompenserai.

Mais Jouve y apportait de la mollesse, car il avait pratiqué les femmes, et il songeait à se mettre du côté de cette enfant, qui pouvait être la maîtresse souveraine du lendemain. S’il n’osait plus y toucher, il la trouvait diablement jolie. Son colonel, autrefois, s’était tué pour une gamine pareille, une figure insignifiante, délicate et modeste, dont un seul regard retournait les cœurs.

— Je veille, je veille, répondait-il. Mais, parole d’honneur ! je ne découvre rien.

Pourtant, des histoires circulaient, il y avait un courant de commérages abominables, sous les flatteries et le respect que Denise sentait monter autour d’elle. La maison entière, à cette heure, racontait qu’elle avait eu jadis Hutin pour amant ; on n’osait jurer que la liaison continuât, seulement on les soupçonnait de se revoir, de loin en loin. Et Deloche aussi couchait avec elle : ils se retrouvaient sans cesse dans les coins noirs, ils causaient pendant des heures. Un véritable scandale !

— Alors, rien du premier à la soie, rien du jeune homme des dentelles ? répétait Bourdoncle.

— Non, monsieur, rien encore, affirmait l’inspecteur.

C’était surtout avec Deloche que Bourdoncle comptait surprendre Denise. Un matin, lui-même les avait aperçus en train de rire dans le sous-sol. En attendant, il traitait la jeune fille de puissance à puissance, car il ne la dédaignait plus, il la sentait assez forte pour le culbuter