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LES ROUGON-MACQUART.

saut du rayon. Elle cherchait le manteau demandé, lorsqu’elle eut un léger cri de surprise.

— Comment ! c’est toi ! qu’y a-t-il donc ?

Son frère Jean, les mains embarrassées d’un paquet, se trouvait devant elle. Il était marié depuis huit jours, et le samedi, sa femme, une petite brune d’un visage tourmenté et charmant, avait fait une longue visite au Bonheur des Dames, pour des achats. Le jeune ménage devait accompagner Denise à Valognes : un vrai voyage de noces, un mois de vacances dans les souvenirs d’autrefois.

— Imagine-toi, répondit-il, que Thérèse a oublié une foule d’affaires. Il y a des choses à changer, d’autres à prendre… Alors, comme elle est pressée, elle m’a envoyé avec ce paquet… Je vais t’expliquer…

Mais elle l’interrompit, en apercevant Pépé.

— Tiens ! Pépé aussi ! et le collège ?

— Ma foi, dit Jean, après le dîner, hier dimanche, je n’ai pas eu le courage de le reconduire. Il rentrera ce soir… Le pauvre enfant est assez triste de rester enfermé à Paris, lorsque nous nous promènerons là-bas.

Denise leur souriait, malgré son tourment. Elle confia madame Bourdelais à une de ses vendeuses, elle revint vers eux, dans un coin du rayon, qui heureusement se dégarnissait. Les petits, ainsi qu’elle les nommait encore, étaient à cette heure de grands gaillards. Pépé, à douze ans, la dépassait déjà, plus gros qu’elle, toujours muet et vivant de caresses, d’une douceur câline dans sa tunique de collégien ; tandis que Jean, carré des épaules, la dominant de toute la tête, gardait sa beauté de femme, avec sa chevelure blonde, envolée sous le coup de vent des ouvriers artistes. Et elle, restée mince, pas plus grosse qu’une mauviette, comme elle disait, conservait entre eux son autorité inquiète de mère, les traitait en gamins qu’il faut soigner, reboutonnant la redingote de Jean