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AU BONHEUR DES DAMES.

Le rayon avait exposé ses vêtements de couleur tendre, des jaquettes et des mantilles d’été, en soie légère, en lainage de fantaisie. Mais la vente se portait ailleurs, les clientes y étaient relativement clairsemées. Presque toutes les vendeuses se trouvaient nouvelles. Clara avait disparu depuis un mois, enlevée selon les uns par le mari d’une acheteuse, tombée à la débauche de la rue, selon les autres. Quant à Marguerite, elle allait enfin retourner prendre la direction du petit magasin de Grenoble, où son cousin l’attendait. Et, seule, madame Aurélie restait là, immuable, dans la cuirasse ronde de sa robe de soie, avec son masque impérial, qui gardait l’empâtement jaunâtre d’un marbre antique. Pourtant, la mauvaise conduite de son fils Albert la ravageait, et elle se serait retirée à la campagne, sans les brèches faites aux économies de la famille par ce vaurien, dont les dents terribles menaçaient même d’emporter, morceau à morceau, la propriété des Rigolles. C’était comme la revanche du foyer détruit, pendant que la mère avait recommencé ses parties fines entre femmes, et que le père, de son côté, continuait à jouer du cor. Déjà Bourdoncle regardait madame Aurélie d’un air mécontent, surpris qu’elle n’eût pas le tact de prendre sa retraite : trop vieille pour la vente ! ce glas allait sonner bientôt, emportant la dynastie des Lhomme.

— Tiens ! c’est vous, dit-elle à Denise, avec une amabilité exagérée. Hein ? vous voulez qu’on change ce paletot ? Mais tout de suite… Ah ! voilà vos frères. De vrais hommes, à présent !

Malgré son orgueil, elle se serait mise à genoux pour faire sa cour. On ne causait, aux confections, comme dans les autres comptoirs, que du départ de Denise ; et la première en était toute malade, car elle comptait sur la protection de son ancienne vendeuse. Elle baissa la voix.

— On dit que vous nous quittez… Voyons, ce n’est pas possible ?